antheia elle s'est toujours dit qu'elle était pas extraordinaire, sa vie. elle a eu des parents un peu absents mais aimants, occupés par leurs métiers dans la médecine. parfois ils ont raté un événement scolaire, parfois ils ont raté un anniversaire et si, comme tout enfant, il lui est arrivé de protester contre la chose, elle ne leur en a jamais voulu parce que si ce n'était pas le jour-même, c'était le jour d'après, ou celui qui suivait. ses parents ont toujours tout rattrapé - au final, pas une seule date de manquée. et elle les en a toujours remerciés. antheia elle a grandit dans un grand jardin, entourée de plantes et parfois de quelques copains ; c'était une enfant sage, une enfant calme puis studieuse, en grandissant. on lui voyait, comme pour ses parents, un futur de chirurgienne, jusqu'à ce que le lycée ne vienne.

c'est drôle parce qu'aujourd'hui, elle ne saurait plus décrire ses premiers émois même si elle récite comme elle l'a souvent fait qu'elle lui trouvait le regard passionné et aimant, qu'elle le trouvait réconfortant. il s'est frayé (sournoisement) une place dans sa cage thoracique pour serrer entre ses doigts son palpitant, le serrer jusqu'à l'éclater et le remplacer pour que sans lui elle ne puisse plus respirer (et elle, elle a pensé que c'était ça aimer)

dans les jours d'absence, il était là.
dans les jours d'école, il était là.
dans les nuits d'école, il était là.
dans les repas en famille, il était là.
dans les moments entre amis, il était là.

il était là comme une constante immuable, par présence, par étreinte, par message ou par appel (je veux te voir) la monopoliser (je veux t'entendre) et l'isoler alors les jours d'absence elle était avec lui, les jours d'école aussi, les nuits elle a quitté le sommeil pour l'écran de son téléphone jusqu'à ce qu'il la laisse se reposer. les repas, elle les a quittés et les moments se sont terminés - doucement, lentement, comme un mal qui s'immisce pour contrôler sa gestion du temps. elle n'a rien vu, antheia (elle ne voyait plus que le soleil et l'été étouffant) sans savoir qu'il était entrain de tout assécher, tout brûler. elle s'est laissée faire, se pensant abritée d'une canopée et sans savoir, sans comprendre, elle pensait que c'était la norme (parce qu'après tout, il lui disait qu'il l'aimait)

alors quand il le voulait, elle restait éveillée
quand il le voulait, elle restait à ses côtés
à côté de lui et lui seul

(elle a dit non, pourtant, vous savez)

elle l'a dit au début, au milieu, à la fin
et il lui disait souvent que si elle partait la fin il la lui donnerait
(ou il se l'infligerait aussi)
alors elle a arrêté de dire non parce qu'elle avait peur de la fin de l'été,
de la sécheresse
de la mort
l'abandon.

et à la fin du lycée, l'été s'est prolongé
quand il lui a dit (partons)


et elle a quitté sa canopée, la maison.


antheia s'est arrêtée dans le temps, elle était une horloge qu'il remontait comme bon lui semblait - il a choisi ses études, pour l'avoir à ses côtés, il a choisi ses tenues pour qu'elle ne soit pas trop regardée, il lui a dit de refuser les opportunités qu'on lui offrait, il lui a dit aussi que de toute façon il serait bien le seul à l'aimer elle était si laide, si grosse (alors il a aussi contrôlé comment elle mangeait) et elle, elle a suivi (a peut-être empiré, de peur de ne plus être désirée)

elle avait l'impression d'être aveugle (parce qu'elle ne se sentait plus vraiment aimée) elle se sentait attachée, pieds et poings liés, la peur pour finir de la clouer. elle s'était un peu résignée, à ne connaître que ça (et elle s'est dit, insouciante, que les menaces après toutes ces années étaient un peu comme une berceuse familière)
jusqu'au jour où il a voulu lui arracher les ailes - la fois de trop, quand elle a fini contre la table et les carreaux, trop sonnée pour comprendre que l'été l'avait cognée de plein fouet (et soudainement elle a compris qu'un jour peut-être elle n'aurait pas la chance de pouvoir se relever) elle a cru sentir son cœur s'arrêter avant de comprendre que ça faisait longtemps qu'on le lui avait arraché et son ventre, à défaut de son cerveau inhibé, lui a hurlé de courir, de partir (avant que l'été n'ait raison d'elle et que la sécheresse ne la fasse mourir)
le lendemain, pendant un moment d'absence, son sac à dos pesait sur ses épaules tout comme l'hésitation et la frayeur qu'il ne rentre trop tôt, trop vite, avant qu'elle ne parte assez loin. elle avait peur de tout quitter avant de réaliser en serrant dans ses mains osseuses qu'elle n'avait déjà rien alors

elle est partie
loin de l'été
loin de lui
loin d'ici

la poitrine vide de sa grippe,
et la chaleur, soudaine, lui parut déjà moins aride.